A quel rythme le carbone des sols se renouvelle-t-il? Une question de profondeur.
Crédits: CNRS
Le devenir du carbone dans les sols contribue à réguler la teneur en CO2 de l’atmosphère ainsi que la fertilité des agro-écosystèmes. Des chercheurs de l’Inra, du CEA et du CNRS apportent une quantification inédite de la cinétique de renouvellement du carbone des sols en fonction de sa profondeur d’enfouissement et de ses déterminants anthropiques et climatiques. Cette étude, parue le 11 juillet 2018, dans la revue Nature ouvre des perspectives pour mieux apprécier l’évolution du cycle du carbone.
Milliards de tonnes contre seulement la moitié pour l’atmosphère ou les végétaux, les sols sont au cœur des flux de carbone du système terrestre. Ainsi, les végétaux fixent le carbone du CO2 de l’atmosphère grâce à la photosynthèse, l’incorporent au sol sous forme d’exsudats racinaires et de résidus. Le carbone y séjourne ensuite pendant des durées variables avant d’être en très grande partie converti à nouveau en CO2, grâce à la respiration des organismes décomposeurs. Ces échanges continus entre sol et atmosphère contribuent à réguler la teneur en CO2 de l’atmosphère, et donc le climat, et sont susceptibles d’affecter la productivité des agro-écosystèmes. Autant d’éléments clés qui justifient de bien connaître la dynamique des échanges de carbone entre sols et atmosphère pour en apprécier les conséquences.
A la faveur d’une analyse d’envergure, des chercheurs* de l’Inra, du CEA et du CNRS ont mis en évidence qu’au cours des 50 dernières années, ce ne sont pas moins de 25 % du carbone du premier mètre des sols de la planète qui ont été renouvelés, avec une contribution significative des couches profondes.
Une représentation inédite de la dynamique du carbone des sols
Exploitant les isotopes stables naturels du carbone pour réaliser leurs propres mesures et les données de quelque 50 études scientifiques, les chercheurs ont déterminé la durée de résidence et la distribution verticale du carbone issu de la végétation dans 112 sols de prairies, forêts ou cultures, situés sur l’ensemble du globe.
Ils ont ainsi montré qu’entre 1965 et 2015, environ un quart du carbone des sols de la planète a été renouvelé – on parle de carbone jeune datant de moins de 50 ans. Si environ 80 % de ce carbone jeune se trouve dans les couches superficielles du sol (0 – 30 cm de profondeur), 20 % sont dans les couches plus profondes (30 cm – 1 m). Le renouvellement du carbone en profondeur résulte de la savante contribution de la faune qui mélange les sols – on parle de bioturbation – jusqu’à quelque 70 cm de profondeur ; des racines, apportant du carbone jusqu’à environ 2 m, et des décomposeurs qui dégradent les matières organiques, un processus qui s’estompe progressivement en profondeur.
Il en découle un fort gradient vertical de la dynamique du carbone, que les scientifiques ont notamment mesuré pour l’ensemble des zones tropicales où l’âge médian du carbone s’échelonne ainsi de 7 ans, en surface, à 1 250 ans, à 1 m de profondeur. Ils ont de façon plus générale, mis en évidence que la dynamique du carbone dans les couches superficielles (0 -30 cm) est sept fois plus rapide que dans les couches plus profondes (30 cm – 1 m).
De l’influence de l’usage des sols et du climat sur la dynamique du carbone
Si l’on savait déjà que la culture, par rapport aux prairies et forêts, réduit sévèrement la teneur en carbone des couches superficielles des sols (0 – 30 cm) principalement du fait des récoltes de végétaux, les scientifiques montrent en revanche que les sols cultivés reçoivent des quantités relativement importantes de carbone en profondeur puisque les couches profondes (30 cm – 1 m) abritent 30 % du carbone jeune.
De façon globale, le carbone qui est renouvelé est incorporé pour moitié entre 0 et 10 cm de profondeur et pour moitié au-delà. Cette profondeur médiane est de 9 cm en forêt contre 17,5 cm dans des sols cultivés, soulignant l’impact de l’usage des sols et notamment des pratiques agricoles sur le renouvellement du carbone.
Cependant, même dans la partie superficielle des sols tempérés cultivés, l’âge du carbone organique est élevé, de l’ordre de 75 ans, traduisant le fait que les matières organiques de nos sols actuels sont l’héritage de leur gestion par plusieurs générations d’agriculteurs.
Les chercheurs ont mis en évidence que la contribution des couches profondes du sol au carbone jeune dépend peu de la température, mais davantage des précipitations : elle est plus forte en climat sec, probablement parce que l’enracinement des végétaux est alors plus profond.
Ces travaux offrent des résultats déterminants à propos de la dynamique d’incorporation du carbone de l’atmosphère dans les différentes couches des sols. Immanquablement, ils permettront de mieux prévoir l’évolution du cycle du carbone, d’améliorer le bilan carbone des sols et de bien comprendre les facteurs de variation du stockage de carbone entre différents sites et pour différents usages des terres. La gestion du carbone organique des sols est un enjeu de premier plan pour la productivité et la durabilité des agrosystèmes, l’environnement ou les politiques publiques, qui doit se faire à long terme, comme celle d’un capital pour les générations futures, en prenant désormais en compte le carbone profond des sols.
Ces travaux ont été réalisés dans le cadre du projet Dedycas – Le carbone des sols, système dynamique dépendant de la profondeur : nouveaux concepts, mesures et modélisation (Agence nationale de la recherche, 2015-2018).
* Ont participé à ces travaux les laboratoires de recherche et unités de recherche (UR) suivants :
Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Aix-Marseille Univ, CNRS, IRD, Inra, Collège de France)
UR Génétique et amélioration des fruits et légumes, Inra
UR Biogéochimie des écosystèmes forestiers, Inra
Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA, CNRS, UVS