Rencontre – Christelle Taret, Maître caviste
Crédits: Olivier Bompas in Le Point
Propriétaire de la Cave du Parc à Neuilly-sur-Seine, Christelle Taret est la première femme à obtenir ce titre. Nous l’avons interrogée sur son parcours et son métier.
Christelle Taret est Lyonnaise. Bien manger, bien boire, c’est pour elle une affaire de famille. Tout commence par des études en fac de sciences-éco et un passage par la banque, puis elle change de cap et décide que son métier, ce sera le vin. Initiée aux accords mets et vins par le chef Alain Senderens et à la sommellerie par Philippe Bourguignon dans le cadre du prestigieux restaurant parisien Le Laurent, elle s’oriente vers le métier de caviste.
C’est en 2016 qu’elle rachète la Cave du Parc à Neuilly-sur-Seine après l’avoir restructurée et relancée durant près de 10 ans en tant que directrice. Très active dans le milieu des cavistes indépendants, elle a fait partie, en décembre dernier, de la promotion 2020 du titre de Maître caviste. La reconnaissance d’un parcours original et la fierté d’être la première femme à recevoir cette distinction. Elle se livre sur 20 ans d’une vie professionnelle qui peut être un exemple pour les femmes, aujourd’hui nombreuses, qui souhaitent travailler dans l’univers du vin.
Le Point : Que représente pour vous le titre de Maître caviste ?
Christelle Taret : Avant tout la reconnaissance d’un parcours et d’une expertise, ce qui est pris en compte pour l’attribution du titre, c’est l’implication dans la profession, les connaissances, les conseils apportés aux clients, le fait de travailler sans intermédiaires, en direct avec au moins 70 % de vignerons. Que je sois une femme, c’est autre chose, je suis la première, car pour obtenir ce titre il faut être dans le métier depuis plus de 10 ans et il y a 10 ans, on n’était pas nombreuses à se lancer… Aujourd’hui, les gérantes de caves représentent 25 % de la profession, et les sommelières sont de l’ordre de 30 %, l’univers du vin s’est féminisé. Il faut continuer dans ce sens, la mixité c’est important, ne jamais laisser passer la moindre réflexion sur le fait que nous sommes des femmes, les difficultés que j’ai pu rencontrer dans ce milieu très masculin m’ont plutôt motivée pour avancer et faire changer les choses.
Parlez-nous de votre parcours, assez atypique…
J’ai commencé dans la banque et au bout de deux ans j’ai réalisé que, la finance, ce n’était pas ce que j’avais envie de faire… J’ai toujours été passionnée par le vin, j’ai alors contacté Maryse Allarousse (lauréate du concours du Meilleur Sommelier de France 1980). Elle était très connue dans le milieu du vin, et puis c’était une femme, son exemple m’inspirait. Elle m’a conseillé de faire l’institut Vatel à Lyon. J’ai fait un master FB (food and beverage), un prof connaissait très bien le directeur du Sofitel Lyon-Bellecour et j’ai pu y faire mon premier stage. Là, j’ai rencontré le chef Alain Senderens qui était conseiller technique pour la partie restauration. J’ai insisté pour faire de la sommellerie, le service des petits-déjeuners ce n’était pas le but…
J’avais fait mon mémoire sur les accords mets et vins, je l’ai fait lire à Senderens qui était le premier chef à vraiment s’intéresser au sujet, il m’a dit : Ok, je vais tout vous apprendre. À partir de là, je séchais les cours pour venir bosser avec lui au restau. Après ma formation, je suis partie à Paris, c’est lui qui m’a envoyée au Laurent voir Philippe Bourguignon. Il m’a dit : Allez voir Bourguignon, lui, il embauche des femmes en sommellerie. Il ne m’a pas fait de lettre de recommandation, il m’a juste dit : Passez-lui mon bonjour ! Ce que j’ai fait. Cinq minutes après, j’étais embauchée. J’ai monté tous les échelons, j’ai terminé sommelière. Durant quatre ans, j’ai été responsable de tous les gros événements autour du vin, ce ne sont que de très bons souvenirs, j’ai dégusté des bouteilles uniques, je me souviens encore d’un château Margaux 1900.
Comment passe-t-on de la sommellerie au métier de caviste ?
Après le Laurent, j’ai entendu parler de la Cave du Parc à Neuilly-sur-Seine qui embauchait, j’y suis allée pour voir, ça sentait comme dans les épiceries de campagne, je baisse les yeux et je vois par terre, un peu cachées, des bouteilles mythiques, des grands noms inaccessibles, je me dis : c’est quoi cet endroit ? Le propriétaire ne s’en occupait plus, il cherchait un responsable. Il m’a dit : On est en train de couler, je vous laisse carte blanche. J’ai triplé le chiffre d’affaires en quatre ans. J’ai lancé une activité de conseil pour les restaurants, fait la promotion des vins au verre, mis des grands crus en dépôt pour en relancer la vente. Et puis, j’ai lancé un club de dégustation pour les femmes, je voulais leur montrer que l’on peut parler du vin autrement que dans le milieu très masculin des sommeliers. L’essentiel pour moi, c’est : j’aime ou j’aime pas, une approche plus émotionnelle, moins technique que celle des hommes.
Quand j’ai commencé, j’ai embauché un livreur. Quand les clients entraient dans le magasin, ils allaient vers lui, ils pensaient que c’était le patron : une femme caviste, c’était pas concevable… J’ai racheté la cave il y a cinq ans. Aujourd’hui, ça a énormément changé, la société a bougé : je recrée le club de dégustation et il sera mixte. Je propose une dégustation « pleine conscience », on découvre le vin autrement, avec un masque sur les yeux, une légère musique d’ambiance, les gens s’expriment avec un vocabulaire très simple… Ils parlent des souvenirs que leur évoque le vin, ça remet en cause les certitudes concernant la dégustation. Et puis je propose aussi une dégustation « famille », les parents viennent avec les jeunes de 18 ans, on déguste, on dédramatise, on éduque. L’alcool est un tabou, dans nos métiers on ne peut ignorer ça, on fait partie de ceux qui doivent faire ce travail.
Comment vivez-vous cette période compliquée ?
On a la chance de faire partie des métiers protégés, considérés comme essentiels. Durant les confinements, les gens se sont gérés. Ceux qui ont l’habitude de boire régulièrement ou qui sortent beaucoup ont plutôt moins bu. Mais partager une bouteille en famille, ça reste un petit espace de liberté. En fait, les clients avaient surtout besoin de parler, d’échanger, le vin c’était le prétexte pour maintenir un lien social… Au moment du premier confinement, j’ai d’abord fermé trois semaines, j’ai voulu préserver mon personnel, puis j’ai rouvert, un mois toute seule. Je distribuais des masques à ceux qui n’en avaient pas, mes clients m’apportaient à manger car ils savaient que j’étais seule au magasin. On réalise beaucoup de choses dans des moments comme ceux-là… Il y a quinze ans, on disait que le métier allait disparaître à cause de la grande-distribution et d’Internet, mais en fait, plus le virtuel prend de place et plus on a besoin de vraies relations humaines.