Daniel Benharros, l’homme qui changea l’image du vin
Daniel Benharros, un travailleur infatigable qui a su donner au monde viticole une touche de glamour.
C’était un généreux, un affectueux, qui appelait ses collaborateurs et ses relations professionnelles « mon frère », « ma sœur » « mon ami(e) », et joignait le geste à la parole, posant avec douceur sa main sur l’avant-bras de ses interlocuteurs.
Le Figaro était la deuxième maison de ce travailleur infatigable.Né à Rabat, au Maroc, au sein d’une famille juive, à la fin des années 1940, il avait grandi dans le 9e arrondissement de Paris, du côté de l’avenue Trudaine, pour passer une bonne partie de ses trente dernières années au journal, quelques pâtés de maisons plus bas, rue du Louvre, puis boulevard Haussmann. Au Figaro, il occupait une place à part de consultant vin, seul en charge, avec son assistante Sabrina, de la régie du secteur. Un aboutissement pour l’ancien jeune homme passionné de gastronomie, bien avant que les cuisiniers ne deviennent des Top Chefs. Aujourd’hui encore, le monde des fourneaux lui témoignait un grand respect. Pas un chef triple étoilé qui ne quitta ses casseroles pour venir le saluer en salle. Il avait été très affecté par le décès de son ami intime Joël Robuchon, il y a deux ans. Les deux inséparables allaient jusqu’à partager le même coiffeur, le samedi après-midi.
Dans les années 1980, Daniel avait aussi créé la Revue du champagne, nouant des relations fortes et indéfectibles dans l’univers des bulles. Quatre décennies plus tard, qu’une femme ou un homme soit nommé(e) président(e) d’une de ces maisons prestigieuses de Reims ou Épernay, et il ou elle prenait le train de Paris, venait l’annoncer directement et en primeur à Daniel Benharros, pour une forme d’adoubement dans la gaieté.Au bureau, on le trouvait armé d’un crayon à papier et d’une gomme : il dessinait à la main les pages du quotidien et des innombrables suppléments dédiés à Bacchus, y plaçait ses publicités, effaçait, recommençait, passait un coup de fil à l’annonceur pour lui demander de repenser son visuel. En quelques décennies, le commercial créatif a contribué au changement d’image du monde viticole, lui donnant la subtile touche glamour qui a fait son succès. Pas un sommelier, pas un propriétaire de domaine ne pouvait l’ignorer, tant il avait arpenté les rangées de vignes des domaines, dans le Médoc, à Saint-Émilion, en Provence… S’il savait proposer à ses clients ce qu’ils attendaient, il connaissait aussi le prénom de leur époux(se), de leurs enfants et petits-enfants.
Avec certains, il entretenait des relations très privilégiées, devenant au fil des ans un conseiller, un confident, un ami, un frère.Gravement malade depuis une dizaine d’années, Daniel n’en avait pas pour autant perdu son goût de la vie. Il se rendait chaque année en Forêt-Noire avec son épouse Christine, réglait le mariage de sa fille Vanessa ou de son fils Julien, en Israël, retrouvait des amis à Marrakech, à Capri, en Corse. Il ne skiait pas, mais connaissait chaque chalet des grandes stations de ski alpines. À Paris, on le croisait dans les meilleures adresses, au Meurice, au George V, et souvent au Stresa, le très confidentiel restaurant italien des frères Faiola, où il avait son rond de serviette, à deux pas de chez lui. Il y recevait des clients, à sa table enchâssée entre celle d’un autre ponte parisien de la publicité et une autre occupée par un ancien président de la République. Parfois un flacon de Pétrus accompagnait le déjeuner. Un rendez-vous professionnel avec Daniel Benharros, c’était un peu plus qu’une négociation ou une signature de contrat.
Une formidable énergie
Il avait fait sien le combat du professeur David Khayat contre le cancer, déployant une formidable énergie dans l’organisation des soirées caritatives et la collecte des fonds affectés à la Fondation Avec du professeur de médecine. Le secret de cette énième réussite : l’enthousiasme, la bienveillance, toujours.« Face à la maladie, et malgré d’incessants examens de santé, qui sont des sources d’angoisse terribles, il avait su conserver ce regard de l’homme qui n’est jamais abattu, les yeux de celui qui aime faire plaisir à l’autre, souligne son ami le Bordelais Bernard Magrez, propriétaire de plusieurs dizaines de châteaux. Daniel était un homme qui comprenait l’autre. Il avait l’intelligence du cœur, ce qui est très rare. C’était sans doute son atout majeur. Il avait su se forger cette qualité en venant à bout de ses propres ombres. »
Jocelyne Soutiran