Illustration termes Minéralité

La minéralité dans le vin: une thèse de doctorat

 

par Marc André Gagnon in Vin Quebec

 

Le mot est à la mode. Il est de plus en plus employé. Il est l’objet de plusieurs interprétations. Il est aussi contesté. D’où vient donc cette minéralité que certains disent percevoir dans le vin?

 

Le sujet fait même l’objet d’une thèse de doctorat !
«Minéralité des vins : Parlons-en !» La conceptualisation d’un descripteur sensoriel mal défini. Thèse présentée en octobre dernier par Heber Rodrigues Silva dans le but d’obtenir le titre de docteur de l’Université de Bourgogne en science de l’alimentation.

 

Ce terme de minéralité est de plus en plus utilisé depuis 20 ans, et surtout pour les vins blancs, la première utilisation écrite de ce mot associé au vin aurait été faite en 1943, par Margerite Duras dans son oeuvre «Les Imprudents», nous rapporte M. Herber Rodrigues Silva.

 

«Pour leur délier de la langue qu’ils retenaient d’habitude (comme si parler en semaine eût été pécher), le vin d’Uderan faisait merveille, un vin blanc un peu sec, qui avait pris la saveur minérale des plateaux.»
Les Imprudents – Margueritte Duras (1943)

 

C’est surtout à partir des années 1980 que le mot est répandu par les producteurs, communicateurs, vendeurs de vin et chroniqueurs de vin.

 

Pour sa thèse, l’auteur commence par recenser les études faites sur le sujet; entre autres celles de Ballester (2013); d’Heymann, Hopferet Bershaw (2014) et de Parr (2015).

Il note qu’il n’y a pas consensus entre les chroniqueurs vin sur l’usage et la signification de ce mot.

Puis, il décide de choisir d’étudier les vins de Chablis. Des vins dont les vignerons et journalistes disent qu’ils sont très minéraux. Il fait enquête auprès d’une quarantaine de vignerons de l’appellation, fait analyser et fait goûter ces vins à des vignerons de Chablis et des connaisseurs de Bourgogne. Ce sont des vignerons de la rive gauche et de la rive droite du Serein, une rivière du Chablis.

 

Minéralité: une qualité

«Cette étude nous a permis finalement, de vérifier que pour un certain nombre de producteurs et de consommateurs la minéralité renvoie à une notion de qualité

 

Toutefois, l’auteur se demande si la toponymie est la seule raison de ce surcroit de minéralité
Il émet l’hypothèse que les vignerons qui recherchent cette minéralité, considérée par eux copmme étant une qualité, font peut-être le vin de manière a obtenir cette minéralité.

 

«Quatre types de production de vins ont été révélés à partir des pratiques de viticulture et d’oenologie de producteurs chablisiens. A partir des enquêtes de minéralité nous avons étudié les croyances des producteurs. Les résultats suggèrent que certains producteurs, quelle que soit leur classe, ont une représentation de la minéralité qui dépendrait davantage de la façon dont ils font leur vin que l’inverse.»

 

Donc, la façon de faire le vin engendrerait la minéralité.

 

Deux conceptions de la minéralité

L’auteur a aussi observé que les dégustateurs expérimentés ont des conceptions différentes de la minéralité.

 

«Un manque de consensus dans la conception de la minéralité des juges experts a été mis en évidence, révélant deux groupes d’experts ayant une conception très différente de la minéralité. Pour le premier groupe la minéralité est associée aux descripteurs acidité, vivacité et fraîcheur et opposée à miel/cire (marqueurs d’oxydation). Pour le deuxième groupe la minéralité a été associée aux descripteurs craie et calcaire et opposée aux descripteurs de réduction (souffre/réduit/oeuf pourri).»

 

Conditions topoclimatiques

Illustration Minéralité
Certains vins de Chablis sont plus minéraux que d’autres selon les résultats de dégustation à l’aveugle des vignerons et des dégusteurs.

«Les résultats ont montré que les vins provenant de la rive gauche du Serein sont marqués par une minéralité plus élevé que les vins de la rive droite.»

Qu’elle en serait la raison? Le méthanethiol, selon le chercheur. «Le méthanethiol, un thiol responsable de certains arômes de réduction, impliqué dans l’arôme de fruits de mer/coquillage et exerçant un effet de masquage sur les nuances aromatiques florales et fruitées, est présent à des concentrations plus élevées dans les vins issus des vignobles du côté gauche (plus minéral) que du côté droit de la rivière.»

L’orientation, le sol, le microclimat, les conditions topoclimatiques de la rive gauche de Serein donneraient des vins plus minéraux.


Qu’est-ce que cette minéralité?

Elle est souvent opposée aux sensations fruitées et oxydées.
«La minéralité est associée à une gamme de sensations aromatiques, gustatives et/ou tactiles (pierre, salinité, acidité, fraicheur, pierre-a-fusil, fumé). Dans le chapitre 5, nous avons vu que les experts, lors d`une séance d`analyse sensorielle, ont associé positivement la minéralité et les arômes de coquillage et, par la suite ces aromes ont été associés avec la présence de methanethiol. Au contraire, la minéralité était opposée aux arômes floraux, fruités et à ses responsables chimiques comme les cinnamates et les norisoprenoïdes.»

 

«En comparant la position des climats sur les deux rives du Serein (rivière qui traverse le vignoble de Chablis), on observe que la minéralité est plus présente dans les climats positionnés sur la rive gauche, tandis que les fruits et fleurs sont plus présents dans les climats positionnés sur la rive droite.»

 

«Si le producteur a compris la minéralité comme étant marquée par les arômes de coquillage et fruits de mer, il l`a également compris comme l`absence de fruits et de fleurs. Dans cette thèse nous avons observé que la pensée des producteurs (chapitre 2 et 3) et leur perception sensorielle de minéralité (chapitres 4 et 5) sont dans la plupart du temps, positivement associées. Le manque de fruit et de fleurs dans les vins de la rive gauche (plus minéraux) pourrait être du a un effet de masquage de ces arômes par le méthanethiol, très présent dans les vins dits « minéraux » de notre étude. Le méthanethiol est un gaz incolore de la famille des thiols dont l’odeur rappelle celle du chou pourri et semblerait être impliqué, en faibles quantités, dans des arômes marins. Dans le vin, ce composé est généralement associé aux arômes de réduction.»

 

L’étude a démontré que la composition chimique des vins des deux côtés du Serein est différente. Ceux de gauche contiennent plus de méthanethiol (MeSH ou méthylmercaptan) et moins de norisoprenoïde et moins de cuivre. C’est l’inverse pour les vins de l’autre rive.

 

Conclusion de la thèse

M. Rogrigues Silva dit qu’il faudrait pousser plus loin les recherches sous d’autres climats. «Bien que l’origine chimique de la minéralité n’ait pas été complètement élucidée, des pistes sur le caractère multimensionnel de ce descripteur sensoriel ont été confirmées et le rôle que peut jouer les arômes réducteurs a été mis en évidence par l’étude sur l’effet du vieillissement et lors de l’association possible entre minéralité et méthanethiol. En effet, ce composé est responsable de l’arôme de coquillage, une des dimensions sensorielles de la minéralité. En plus, cette molécule a été opposée à deux molécules responsables des arômes floraux et fruités : les cinnamates et les norisoprenoïdes.»

 

Finalement

Est-ce que l’on est plus avancé? Oui et non! C’est dans le sol, dans la fermentation ou dans la tête?
Peut-être dans les trois.

Quoi qu’il en soit, il nous arrive souvent de détecter ces arômes et saveurs dites minérales, particulièrement dans les vins blancs, les vins blancs acides. Surtout lorsque ces flaveurs ne sont pas masquées par le bois, le sucre ou des arômes et saveurs d’oxydation.

 

En annexe de sa thèse, Herber Rodrigues Silva ajoute des images regroupant les mots qui évoquent cette minéralité pour les vignerons de Chablis et pour les consommateurs.

 

Illustration termes Minéralité

Illustration termes Minéralité

 

«Minéralité des vins : Parlons-en !» La conceptualisation d’un descripteur sensoriel mal défini
Thèse présentée en octobre 2016 par Heber Rodrigues Silva dans le but d’obtenir le titre de docteur de l’Université de Bourgogne en science de l’alimentation. Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation à Dijon, France. 181 pages.