Charpente d'une des tours du Chateau de Buzet

Une ruine romantique pour enchanter le vignoble

Crédits: Le Petit Bleu

Pierre Philippe, directeur de la coopérative évoque l’agroécologie. Il nous a par ailleurs fait une visite du château de Buzet, racheté par les Vignerons.

L’anecdote est savoureuse. Un jour de beau temps, une des anciennes propriétaires du château de Buzet a pris Pierre Philippe par le bras, fait quelques pas avec lui sur l’immense terrasse inondée de soleil et lui a susurré : « Vous n’avez pas l’impression d’être au bord de la mer ». Il n’y a pas plus élégant pour faire passer le bruit lointain de l’autoroute pour celui du ressac…

Le château de Buzet surplombe l’A62. À l’origine, le village était autour de ce monument construit à partir du XIe siècle. Au XIXe, il est repris par la famille de Noailles. Elle reprend une à une toutes les maisons du coin pour faire un parc. La mairie brûle à cette époque-là… Les villageois migrent vers le bas. «En reprenant ce château, la coopérative se réapproprie ce lieu auquel elle est intimement liée», explique Pierre Philippe en ouvrant la grille.

Depuis plusieurs mois, les Vignerons de Buzet ont acheté le château pour 740 000 €. «Une somme assez modeste pour préempter l’image symbolique de Buzet et de son appellation», confie le directeur». Et d’insister : «On ne pouvait pas laisser échapper l’image du territoire, son symbole». Un bâtiment de 1 200 m2, un parc de 12 ha avec des essences rares, il y a surtout ici une chose immatérielle : les bonnes ondes. La coopérative a déjà réalisé un immense travail de débroussaillage. Des pierres cachées sont apparues. Les colonnes (vestiges de l’ancienne mairie), une fontaine, l’église, le lieu est magique. À l’intérieur, il y a cet incroyable escalier que l’on monte au pas du chevalier, des plafonds peints, des fenêtres offrant des vues à couper le souffler. Le clou du spectacle est la charpente de la tour.

Si Pierre Philippe a des idées, «voire des fantasmes», pour cet endroit, il ne sera pas métamorphosé en restaurant ou en chambre d’hôtes. «Ce n’est pas notre vocation». La volonté affichée est d’en faire «une ruine romantique» accessible au grand public pour reprendre la jolie expression de Pierre Philippe. «Une ruine romantique» qui va appuyer l’univers de la marque. «Le passé est représenté par le château, le présent par notre entreprise et le futur par le vignoble New Age». Pour la petite histoire, à la fin du XIXe, il y avait une vigne sur le domaine. Lorsque le phylloxera a sévi, ce vignoble-là a permis de tester des produits pour organiser la lutte. En vain mais cela montre bien que Buzet cherchait déjà à innover.

Viticulture

«Les Vignerons de Buzet restent des pionniers»
Pierre Philippe, directeur de la coopérative évoque l’agroécologie. Il nous a par ailleurs fait une visite du château de Buzet, racheté par les Vignerons.

Un sourire éclatant éclaire subitement son visage lorsqu’il confie, sur un ton enjoué : «C’était plutôt sympa». Pierre Philippe résume ainsi sa récente présence à Bordeaux, au conseil régional, au beau milieu de vignerons et d’agriculteurs bordelais, pour expliquer comment gérer la transition agroécologique en viticulture. Pour le directeur des Vignerons de Buzet, il n’y a que la valeur de l’exemple qui fonctionne avec les viticulteurs. À son arrivée en en 2005, il a donc mis en place ce qu’il nomme «ma stratégie appartement témoin» avec le vignoble de Gueyze comme vignoble expérimental. Aujourd’hui, la coopérative est le plus gros metteur en marché de vin sans sulfite. Mais le Basque Pierre Philippe ne recule devant aucune innovation, à l’image de la vigne New Age (notre article du 27 mars).

Avec vigne New Age, les Vignerons de Buzet explorent le scénario du pire. Pourquoi ?

«Fin 2014, avec le service vigne, la question de l’évolution de la viticulture s’est posée avec les contraintes du réchauffement climatique et, au-delà, celle de la problématique de la réserve en eau. Même si on fait des bassines comme dit notre cher président de la chambre d’agriculture, est-ce que, demain, cette eau pourra être réorientée vers la vigne ? J’en doute. Nous avons de plus en plus de mal à trouver du personnel pour travailler dans les vignes. Il y a une pression citoyenne sur les intrants et la chimie. Enfin, il y a la résistance aux maladies. Nous devons réinterroger nos pratiques. Nous avons voulu explorer ce scénario du pire avec des méthodes qui vont plus loin que celle pratiquée au niveau de Gueyze. Ce vignoble New Age va être notre Formule 1 avec des développements techniques importants. Tous ne seront peut-être pas adaptables aux voitures de série.»

Quels freins avez-vous rencontrés pour mettre en place cette transition agroécologique ?

«Au début, j’ai un peu prêché dans le désert mais j’ai bénéficié de deux avantages. Nous détenions 80 % de l’appellation avec des opérateurs à l’écoute des innovations et, à mon arrivée en 2005, l’entreprise se portait extrêmement mal. Elle était en attente d’un projet structurant. Partir sur cette voie-là a été pour nous un facteur de structuration de notre stratégie et en même temps un facteur de différentiation.

Quand nous avons pris ce chemin, nous étions un peu originaux au niveau national, voire au niveau international. Aujourd’hui, nous avons gardé dans la profession une image de pionniers et de précurseurs. On nous observe beaucoup. Et nous gardons en permanence une ligne de vue principale : la rentabilité. Vous pouvez toujours rêver de faire du durable, si vous n’êtes pas rentable, vous ne le serez jamais.»

N’existe-t-il pas un risque que l’on ne parle que de votre côté pionnier et moins de votre vin ?

«L’imaginaire géographique de l’appellation Buzet est faible. Attention, plaçons-nous en dehors du Lot-et-Garonne. Nous avons juste à côté de nous l’appellation la plus connue au monde : Bordeaux. Tu dis Buzet à un acheteur new-yorkais ou tokyoïte, ça ne lui cause pas. Il ne faut donc pas rentrer par la porte, classique, géographique mais par l’usage du produit. Aujourd’hui, on a de plus en plus de préoccupations sur ce que l’on boit et ce que l’on mange. Aujourd’hui, tout le monde parle de bio, non pas pour protéger la planète, mais pour protéger son petit nombril. Au-delà d’être dans l’innovation permanente, nous sommes aussi connus pour qui nous sommes. Je n’oublie pas dans la stratégie de l’entreprise l’émotion que doit engendrer notre produit. Je n’oublie pas l’enchantement et l’émerveillement.»

D’autres appellations s’inspirent-elles de vos pratiques ?

«Oui. D’ailleurs ce matin je me suis encore agacé sur un truc. Ils font parfois plus que s’inspirer. C’est carrément du copier. Nous avons arrêté les CMR (les substances classées Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques) depuis 5 ans alors quand je vois un reportage soulignant qu’une cave allait prochainement arrêter les CMR. En même temps, nous prônons une démarche ouverte.»

Vous êtes là depuis 14 ans. Comment imaginez-vous le vignoble de Buzet dans 14 ans ?

«Déjà je l’imagine encore là, ce qui ne va pas être le cas de tout le monde. Il sera probablement plus concentré que ce qu’il est aujourd’hui. Il y aura probablement moins d’adhérents avec des surfaces moyennes plus importantes. Le vignoble sera modernisé, c’est sûr.»

Recueilli par B.C.