Viticulture Les vins doux naturels, spécialité du Roussillon, péril en la demeure?
Crédits: Agrisalon
Dans le Roussillon, les vendanges sont terminées depuis quelques semaines et les raisins ont été passés au pressoir, selon un savoir-faire ancestral, mais avec un goût amer pour des producteurs de vin doux naturel, en mal de consommateurs.
Les vins doux naturels blancs ou rouges (Maury, Banyuls, Banyuls Grand cru, Rivesaltes, Muscat de Rivesaltes) sont produits à partir de raisins gorgés de soleil méditerranéen. Leurs grappes, balayées par la tramontane, ont été récoltées à grande maturité. Mais c’est le « mutage » qui fait la spécificité de ces vins. Cette opération ancestrale consiste en l’ajout d’alcool neutre vinique dans le jus – voire sur les grains – en cours de fermentation, afin de la stopper. Ainsi, une partie du sucre ne va pas être dégradée par les levures. Résultat : des vins à très forte teneur en sucre et riches en alcool – ils titrent au minimum à 15 degrés -, très prisés à l’apéritif dans les années 1950 et 1960.
« Mais les habitudes ont changé et aujourd’hui, ces vins ont du mal à trouver leurs consommateurs », regrette Delphine Verdaguer, au Domaine de Rancy, à Latour-de-France. « Ces vins plaisent un peu moins. Les gens aiment les vins frais, vifs, faciles à consommer, comme les rosés », ajoute la viticultrice. « Ces vins ne sont plus très « fun » », admet lui aussi Laurent Barréda, le président de la cave Terre des Templiers, qui regroupe à Banyuls quelque 650 vignerons, et lui-même viticulteur. « Ils ne sont plus dans l’air du temps », affirme-t-il.
« Un art »
Pour le président de la Confédération nationale des Vins doux naturels (VDN), Bernard Rouby, ces vins souffrent aussi d’un manque de notoriété et, notamment pour les Rivesaltes, d’une image brouillée. « Paradoxalement, dit-il, c’est un produit très présent en grande distribution. Mais à 3,50 euros » ! Quant à la production, vendue autrefois en grande partie au négoce, elle n’a jamais été valorisée. Et quand le négoce s’est écroulé, « tout le monde s’est écroulé », résume Xavier Hardy, du Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon (CIVR). La production des VDN a donc dégringolé, au profit des vins secs : selon Xavier Hardy, elle s’élevait il y a une cinquantaine d’années à 700 000 hectolitres sur une production totale dans le Roussillon de 1,5 million hl. L’an dernier, elle a chuté à 145 000 hl sur une production totale de 698 000 hl.
Pourtant, ces VDN sont « magiques », relève également Xavier Hardy. « Ce sont des pépites, des bijoux », qui donnent leur pleine mesure avec le vieillissement. Ces vins de longue garde acquièrent ainsi une riche palette d’arômes (fruits secs, fruits confits, jusqu’aux notes d’épices ou de torréfaction pour les plus anciens), associée à la puissance du nectar. « Ce sont des vins uniques. Moi je les compare à des spiritueux », souligne-t-il encore. Hélas, « on n’a jamais communiqué sur la spécificité », à la différence des Porto, ou des Cognac et des Armagnac « qui ont réussi à être considérés comme des produits de luxe », dit Delphine Verdaguer. Et aujourd’hui, en l’état, « il y a péril en la demeure », avec le risque que « tout un art » – mutage, oxydation, élevage en foudres – se perde, déplore la viticultrice, dans la cave du Domaine de Rancy où sont alignés les fûts par millésime. Un pessimisme que Bernard Rouby ne partage pas. « Certes on ne reviendra pas aux volumes d’antan, mais en revanche, ces vins vont rester » à condition qu’on sache « travailler sur leur image, travailler avec les cavistes », estime-t-il. « On est dans un plan de reconquête », assure Xavier Hardy qui a reçu récemment avec le CIVR 25 cavistes de toute la France. « La problématique des VDN sera notre salut », confie Laurent Barréda, dans la cave Terre des Templiers dont les Banyuls tirent leur épingle du jeu grâce à un fort réseau de représentants. « Notre vin est particulier, il a sa personnalité, et si on sait le valoriser, on saura le vendre », prédit-il.